© P.Yves Touzot 2018

24 août 2018

PRESSE: Compte rendu d'interview


Compte rendu de mon interview réalisée par Bénédicte MEILLON, enseignant chercheur à l'université Via Domitia de Perpignan, spécialiste en écopoétique, durant le colloque "Lieux d'enchantement: écrire et ré-enchanter le Monde".


Meillon, Bénédicte. «Lieux, écriture et réenchantement du monde : Entretien avec Pierre-Yves Touzot.»
Crossways Journal, N °2.1 (2018)


Lieux, écriture et réenchantement du monde :
Entretien avec Pierre-Yves Touzot
Bénédicte Meillon / Université de Perpignan Via Domitia / France


Bénédicte Meillon: Quel est votre endroit préféré au monde? Et qu’est-ce qui vous y plait tant?
Pierre-Yves Touzot: Question difficile... Il y en a tellement! D’un point de vue émotionnel, le parc du Yellowstone, en été comme en hiver, est l’endroit qui me touche le plus, parce qu’il se dégage de ces lieux quelque chose de pur, d’originel. Et je me sens toujours très habité lorsque je suis sur un voilier, sur l’océan, en haute mer.

BM : Quelle place la nature occupe-t-elle dans votre écriture?
PYT : Une place vraiment centrale. L’image qui me hante est celle d’un homme tout petit au milieu d’une nature immense. À travers cette image récurrente, je me passionne pour les effets de cette nature immense sur les humains.

BM : Et les animaux, jouent-ils un rôle d’importance dans vos écrits?
PYT : Un rôle plus que central. La rencontre entre l’être humain et la nature qui habite mes romans passe par la rencontre entre l’humain et l’animal. Les animaux représentent pour moi de véritables personnages secondaires qui développent des relations essentielles pour l’évolution de mes personnages humains.

BM : Qu’en est-il des plantes, des minéraux et des éléments?
PYT : La rencontre avec les autres éléments naturels comme les plantes, les minéraux et les éléments est également essentielle, en particulier dans mon premier roman, Terre Lointaine, où mon héros doit trouver des réponses à ses questions en regardant, en écoutant et en ressentant la nature qui l’entoure. Mon second roman, un carnet de bord de marin embarqué dans un tour du monde en solitaire, offre aux éléments un rôle encore plus essentiel.

BM : Quelle est la nature de la relation qui lie vos personnages aux environnements que vous créez pour eux?
PYT : Très forte. Le héros de mon premier roman est plongé dans un environnement naturel qui n’est plus exactement celui qu’il connaissait et qui l’amène à s’interroger sur ce qui s’est passé. Le héros du second roman participe à une course autour du monde à la voile en solitaire durant laquelle l’océan va être son seul horizon. Les héros du troisième roman sont immergés dans un parc naturel nord-américain en hiver. Dans ces trois récits, l’arène joue un rôle primordial dans l’histoire qui influence le parcours et les réflexions intérieures des personnages.

BM : Dans quelle mesure votre écriture s’inspire-t-elle d’une compréhension scientifique du monde?
PYT : Il est très important pour moi de respecter un réalisme scientifique dans mes romans. Même s’il m’arrive parfois de déformer certaines réalités scientifiques pour appuyer un propos, nourrir la narration, ou rendre certaines situations plus poétiques, la crédibilité des thèses et idées scientifiques exposées est primordiale, pour garder un réalisme de fond dans mes récits.

BM : Y a-t-il des mythes ou certaines mythologies qui alimentent votre écriture ou qui vous inspirent? Pourriez-vous nous citer quelques exemples?
PYT : Mes romans sont effectivement inspirés par des mythologies déjà existantes. Le premier, Terre Lointaine, s’inspire directement du mythe de Robinson Crusoe à travers l’histoire d’un personnage qui se retrouve livré à lui-même dans une nature qu’il ne reconnaît pas, et qui ne parvient pas à retrouver la civilisation. Le second, Comme un Albatros, est un hommage direct et assumé à Bernard Moitessier, marin et philosophe français, et à ses écrits. Le troisième, Oldforest, est une réappropriation personnelle du mythe des forêts originelles, et des Arbres de Vie. À chaque fois, il s’agit de reprendre les thématiques inhérentes à ces mythes, et de les resituer dans un contexte actuel.

BM : Y a-t-il d’autres domaines des arts ou des humanités qui ont un impact sur la vision du monde que vous tentez de (re)créer dans vos écrits? Pourriez-vous nous citer quelques exemples?
PYT : De nombreuses formes d’art nourrissent mes romans, en
 particulier la littérature et le cinéma, mais aussi la photographie et la musique. Et, bien sûr, tout ce qui concerne les problèmes et les solutions dans nos rapports avec notre environnement.

BM : Quel(le) forme ou genre préférez-vous lorsqu’il s’agit d’écrire à propos de la nature?
PYT : Jusqu’à aujourd’hui, je ne me suis consacré qu’à l’écriture de scénarii de fiction et de romans.

BM : Quel(le)s sont les auteur(e)s, le cas échéant, qui ont eu l’influence la plus marquante sur votre œuvre?
PYT : Chacun de mes romans est nourri par des auteurs différents. Terre Lointaine est très inspiré des œuvres de Defoe et de Tournier consacrées à Robinson Crusoe, mais également d’Arthur C. Clark, auteur de science-fiction américain, en particulier de sa série de romans intitulée Rama, qui raconte l’histoire d’astronautes confrontés à la découverte d’un Nouveau Monde et de son écosystème. Comme un Albatros est inspiré des écrits de Bernard Moitessier, mais également des messages de vacation de marins participant à des courses autour du monde à la voile en solitaire. Quant à Oldforest, c’est un récit d’aventure à ciel ouvert s’inspirant de certains romans de Jack London et de séries télévisées comme Twin Peaks ou Lost, où la nature fait figure de personnage à part entière.

BM : Quel pouvoir accordez-vous à la fiction dystopique, qu’elle soit présentée en littérature ou encore au cinéma?
PYT : Mon premier roman peut être vu comme une œuvre dystopique, mais ça n’était pas le but initial. Même si je peux par moments être pessimiste quant à notre futur, je préfère être porteur d’un message positif plutôt que de céder au catastrophisme. Je pense que la solution passe par une prise de conscience collective, qui passe elle-même par une reconnexion avec la nature. Cette prise de conscience doit toujours s’accompagner d’une proposition de solutions, qu’elles soient réalistes ou utopiques.

BM : Seriez-vous d’accord pour dire que tous les écrivains de la nature sont des mystiques?
PYT : Oui. Pour moi, traiter du rapport à la nature entraîne forcément une part de mysticisme, dans la mesure où cela nous invite à des réflexions et des questionnements métaphysiques sur notre condition d’être humain au cœur d’un univers qui nous dépasse. Si nous partons du postulat que ce que Mark Tredinnick nomme «la musique sauvage de la terre» existe,

BM : Comment pensez-vous que nous puissions apprendre à l’écouter? Et pensez-vous que cette musique sauvage puisse se répercuter dans, ou donner forme à l’écriture?
PYT : Incontestablement. Au-delà de mon travail d’écriture, c’est une quête personnelle spirituelle qui me pousse à essayer de mieux entendre le chant de la nature, et à essayer de le partager.

BM : Iriez-vous jusqu’à dire qu’il existe un lien direct entre le langage de la terre et la créativité de la langue dans vos écrits?
PYT : Il me paraîtrait présomptueux de prétendre que la nature s’exprime à travers mon écriture. Pourtant, j’aime l’idée poétique que mon envie sincère et profonde de partager mon rapport personnel à la nature soit une manière pour la nature de s’exprimer à travers mes écrits.

BM : Selon vous, quelle part de votre œuvre vise un réenchantement du monde?
PYT : Mon premier roman se base sur l’idée que ça n’est pas la planète qui est en danger, mais notre présence en tant qu’être humain sur cette planète. Du point de vue de la planète, je pense donc participer à un réenchantement du monde! Du point de vue des humains, ma vision est moins optimiste, même si l’idée reste que nous ne sommes aujourd’hui qu’à un stade intermédiaire de notre évolution, et que le meilleur reste à venir. Le second roman dresse un état dramatique des océans du monde, à travers une vision réaliste, mais forcément pessimiste. Il invite davantage à une prise de conscience qu’il ne participe à un réenchantement, même si certaines parties plus poétiques y participent. D’une manière plus générale, mes romans invitent à une reconnexion avec la nature qui, pour moi, est forcément source de réenchantement.

BM : Diriez-vous que les humains ont perdu leur capacité à s’émerveiller par rapport au monde naturel?
PYT : Malheureusement, oui. Pourtant, je reste persuadé que cette capacité à s’émerveiller au contact de la nature n’est qu’endormie, et qu’elle ne demande qu’à se réveiller. Mais pour moi, elle ne se réveillera qu’au contact réel de la nature, et pas seulement en la voyant à travers des films ou en la ressentant à travers des romans. Ces deux médias, et tous les autres doivent avant tout donner l’envie de s’y confronter physiquement, «sensitivement» et émotionnellement.

BM : Lisez-vous des œuvres de théorie ou de littérature écocritiques? Et si oui, dans quelles proportions?
PYT : La grande majorité de mes lectures est consacrée à des œuvres de nature writing, ainsi qu’une part importante des films et des séries que je regarde, et des voyages que j’entreprends. C’est un plaisir personnel avant d’être une source d’enrichissement et d’inspiration en

BM : Pensez-vous que la littérature ait la capacité de changer la relation qu’entretiennent les humains avec le monde naturel auquel ils appartiennent et, le cas échéant, qu’elle puisse être à l’origine d’une prise de conscience, ou mieux encore, de changements politiques?
PYT : J’ai la faiblesse de croire que la littérature, mais aussi le cinéma, peut influencer les mentalités, et donc amener des changements politiques. Cela fait en tout cas partie de ma motivation pour écrire des romans, et pour faire des films.

BM : Auriez-vous en tête l’exemple d’un tel cas, où des mesures politiques ont fait suite à une prise de conscience grâce au succès d’un roman, ou d’une autre œuvre d’art?
PYT : Je crois par exemple que le succès planétaire de Danse avec les Loups a permis de faire évoluer les mentalités à propos de la culture amérindienne, et de leur rapport à la nature. En littérature, je crois que le succès continu de Robinson Crusoe depuis maintenant plusieurs siècles contribue à nous rappeler génération après génération que nous faisons partir de la nature.

BM : Selon vous, est-ce qu’une majorité de vos lecteurs et lectrices ont déjà conscience des problèmes environnementaux dont vous parlez ou avez-vous le sentiment que votre œuvre peut accompagner vos lecteurs et lectrices vers une compréhension et une conscience différente du monde?
PYT : Même si mes romans sont loin d’être des bestsellers, j’ai eu de nombreux exemples autour de moi de lecteurs qui ont été amenés à lire mes romans par amitié ou par hasard et qui ont été sensibles à leur propos alors qu’ils n’étaient pas forcément concernés par les problèmes d’environnement ou de rapport à la nature. Ça a été une vraie récompense pour moi, et un encouragement à persévérer!

BM : Quels changements espérez-vous que vos livres provoquent, à un niveau personnel?
PYT : Vaste question. J’espère simplement participer à une prise de conscience générale sur notre rapport à la nature, et susciter des envies de reconnexion avec le monde qui nous entoure.

BM : De quelles façons votre connaissance et votre sensibilité aux problèmes écologiques et à la vie autre qu’humaine affectent-elles votre style et vos choix de vie?
PYT : De manière plus profonde que je ne l’aurais cru avant de commencer à écrire. Mes pulsions de consommation ont diminué de manière significative, et mon rapport à la nature s’est renforcé et enrichi. Mais il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour avancer sur cette voie.