Compte rendu de mon interview réalisée par Bénédicte MEILLON, enseignant chercheur à l'université Via Domitia de Perpignan, spécialiste en écopoétique, durant le colloque "Lieux d'enchantement: écrire et ré-enchanter le Monde".
Meillon, Bénédicte.
« Lieux, écriture et réenchantement du monde : Entretien avec Pierre-Yves
Touzot. »
Crossways Journal, N
°2.1 (2018)
Lieux, écriture et
réenchantement du monde :
Entretien avec
Pierre-Yves Touzot
Bénédicte Meillon /
Université de Perpignan Via Domitia / France
Bénédicte Meillon: Quel est votre endroit préféré au monde ? Et qu’est-ce qui vous y plait
tant ?
Pierre-Yves Touzot: Question
difficile... Il y en a tellement ! D’un point de vue émotionnel, le parc du Yellowstone, en été
comme en hiver, est l’endroit qui me touche le plus, parce qu’il se dégage de
ces lieux quelque chose de pur, d’originel. Et je me sens toujours très habité
lorsque je suis sur un voilier, sur l’océan, en haute mer.
BM : Quelle place la nature occupe-t-elle dans votre écriture ?
PYT : Une place
vraiment centrale. L’image qui me hante est celle d’un homme tout petit au
milieu d’une nature immense. À travers cette image récurrente, je me passionne
pour les effets de cette nature immense sur les humains.
BM : Et les animaux, jouent-ils un rôle d’importance dans vos écrits ?
PYT : Un rôle
plus que central. La rencontre entre l’être humain et la nature qui habite mes
romans passe par la rencontre entre l’humain et l’animal. Les animaux
représentent pour moi de véritables personnages secondaires qui développent des
relations essentielles pour l’évolution de mes personnages humains.
BM : Qu’en est-il des plantes, des minéraux et des éléments ?
PYT : La
rencontre avec les autres éléments naturels comme les plantes, les minéraux et
les éléments est également essentielle, en particulier dans mon premier roman,
Terre Lointaine, où mon héros doit trouver des réponses à ses questions en
regardant, en écoutant et en ressentant la nature qui l’entoure. Mon second roman,
un carnet de bord de marin embarqué dans un tour du monde en solitaire, offre
aux éléments un rôle encore plus essentiel.
BM : Quelle est la nature de la relation qui lie vos personnages aux
environnements que vous créez pour eux ?
PYT : Très
forte. Le héros de mon premier roman est plongé dans un environnement naturel
qui n’est plus exactement celui qu’il connaissait et qui l’amène à s’interroger
sur ce qui s’est passé. Le héros du second roman participe à une course autour
du monde à la voile en solitaire durant laquelle l’océan va être son seul
horizon. Les héros du troisième roman sont immergés dans un parc naturel
nord-américain en hiver. Dans ces trois récits, l’arène joue un rôle primordial
dans l’histoire qui influence le parcours et les réflexions intérieures des
personnages.
BM : Dans quelle mesure votre écriture s’inspire-t-elle d’une compréhension
scientifique du monde ?
PYT : Il est
très important pour moi de respecter un réalisme scientifique dans mes romans.
Même s’il m’arrive parfois de déformer certaines réalités scientifiques pour
appuyer un propos, nourrir la narration, ou rendre certaines situations plus
poétiques, la crédibilité des thèses et idées scientifiques exposées est primordiale,
pour garder un réalisme de fond dans mes récits.
BM : Y a-t-il des mythes ou certaines mythologies qui alimentent votre
écriture ou qui vous inspirent ? Pourriez-vous nous citer quelques exemples ?
PYT : Mes romans
sont effectivement inspirés par des mythologies déjà existantes. Le premier,
Terre Lointaine, s’inspire directement du mythe de Robinson Crusoe à travers l’histoire
d’un personnage qui se retrouve livré à lui-même dans une nature qu’il ne
reconnaît pas, et qui ne parvient pas à retrouver la civilisation. Le second,
Comme un Albatros, est un hommage direct et assumé à Bernard Moitessier, marin et
philosophe français, et à ses écrits. Le troisième, Oldforest, est une réappropriation
personnelle du mythe des forêts originelles, et des Arbres de Vie. À chaque
fois, il s’agit de reprendre les thématiques inhérentes à ces mythes, et de les
resituer dans un contexte actuel.
BM : Y a-t-il d’autres domaines des arts ou des humanités qui ont un impact
sur la vision du monde que vous tentez de (re)créer dans vos écrits ? Pourriez-vous nous citer
quelques exemples ?
PYT : De
nombreuses formes d’art nourrissent mes romans, en
particulier la littérature et le cinéma, mais aussi
la photographie et la musique. Et, bien sûr, tout ce qui concerne les problèmes
et les solutions dans nos rapports avec notre environnement.
BM : Quel(le) forme ou genre préférez-vous lorsqu’il s’agit d’écrire à
propos de la nature ?
PYT : Jusqu’à
aujourd’hui, je ne me suis consacré qu’à l’écriture de scénarii de fiction et
de romans.
BM : Quel(le)s sont les auteur(e)s, le cas échéant, qui ont eu l’influence
la plus marquante sur votre œuvre ?
PYT : Chacun de
mes romans est nourri par des auteurs différents. Terre Lointaine est très
inspiré des œuvres de Defoe et de Tournier consacrées à Robinson Crusoe, mais
également d’Arthur C. Clark, auteur de science-fiction américain, en
particulier de sa série de romans intitulée Rama, qui raconte l’histoire d’astronautes
confrontés à la découverte d’un Nouveau Monde et de son écosystème. Comme un
Albatros est inspiré des écrits de Bernard Moitessier, mais également des
messages de vacation de marins participant à des courses autour du monde à la
voile en solitaire. Quant à Oldforest, c’est un récit d’aventure à ciel ouvert
s’inspirant de certains romans de Jack London et de séries télévisées comme
Twin Peaks ou Lost, où la nature fait figure de personnage à part entière.
BM : Quel pouvoir accordez-vous à la fiction dystopique, qu’elle soit
présentée en littérature ou encore au cinéma ?
PYT : Mon
premier roman peut être vu comme une œuvre dystopique, mais ça n’était pas le
but initial. Même si je peux par moments être pessimiste quant à notre futur,
je préfère être porteur d’un message positif plutôt que de céder au
catastrophisme. Je pense que la solution passe par une prise de conscience collective,
qui passe elle-même par une reconnexion avec la nature. Cette prise de
conscience doit toujours s’accompagner d’une proposition de solutions, qu’elles
soient réalistes ou utopiques.
BM : Seriez-vous d’accord pour dire que tous les écrivains de la nature sont
des mystiques ?
PYT : Oui. Pour
moi, traiter du rapport à la nature entraîne forcément une part de mysticisme,
dans la mesure où cela nous invite à des réflexions et des questionnements
métaphysiques sur notre condition d’être humain au cœur d’un univers qui nous
dépasse. Si nous partons du postulat que ce que Mark Tredinnick nomme « la musique sauvage de la terre » existe,
BM : Comment pensez-vous que nous puissions apprendre à l’écouter ? Et pensez-vous que cette
musique sauvage puisse se répercuter dans, ou donner forme à l’écriture ?
PYT : Incontestablement.
Au-delà de mon travail d’écriture, c’est une quête personnelle spirituelle qui
me pousse à essayer de mieux entendre le chant de la nature, et à essayer de le
partager.
BM : Iriez-vous jusqu’à dire qu’il existe un lien direct entre le langage de
la terre et la créativité de la langue dans vos écrits ?
PYT : Il me
paraîtrait présomptueux de prétendre que la nature s’exprime à travers mon
écriture. Pourtant, j’aime l’idée poétique que mon envie sincère et profonde de
partager mon rapport personnel à la nature soit une manière pour la nature de s’exprimer
à travers mes écrits.
BM : Selon vous, quelle part de votre œuvre vise un réenchantement du monde ?
PYT : Mon
premier roman se base sur l’idée que ça n’est pas la planète qui est en danger,
mais notre présence en tant qu’être humain sur cette planète. Du point de vue
de la planète, je pense donc participer à un réenchantement du monde ! Du point de vue des humains,
ma vision est moins optimiste, même si l’idée reste que nous ne sommes aujourd’hui
qu’à un stade intermédiaire de notre évolution, et que le meilleur reste à
venir. Le second roman dresse un état dramatique des océans du monde, à travers
une vision réaliste, mais forcément pessimiste. Il invite davantage à une prise
de conscience qu’il ne participe à un réenchantement, même si certaines parties
plus poétiques y participent. D’une manière plus générale, mes romans invitent
à une reconnexion avec la nature qui, pour moi, est forcément source de réenchantement.
BM : Diriez-vous que les humains ont perdu leur capacité à s’émerveiller par
rapport au monde naturel ?
PYT : Malheureusement,
oui. Pourtant, je reste persuadé que cette capacité à s’émerveiller au contact de
la nature n’est qu’endormie, et qu’elle ne demande qu’à se réveiller. Mais pour
moi, elle ne se réveillera qu’au contact réel de la nature, et pas seulement en
la voyant à travers des films ou en la ressentant à travers des romans. Ces
deux médias, et tous les autres doivent avant tout donner l’envie de s’y
confronter physiquement, « sensitivement » et émotionnellement.
BM : Lisez-vous des œuvres de théorie ou de littérature écocritiques ? Et si oui, dans quelles proportions ?
PYT : La grande
majorité de mes lectures est consacrée à des œuvres de nature writing, ainsi qu’une
part importante des films et des séries que je regarde, et des voyages que j’entreprends.
C’est un plaisir personnel avant d’être une source d’enrichissement et d’inspiration
en
BM : Pensez-vous que la littérature ait la capacité de changer la relation
qu’entretiennent les humains avec le monde naturel auquel ils appartiennent et,
le cas échéant, qu’elle puisse être à l’origine d’une prise de conscience, ou
mieux encore, de changements politiques ?
PYT : J’ai la
faiblesse de croire que la littérature, mais aussi le cinéma, peut influencer
les mentalités, et donc amener des changements politiques. Cela fait en tout
cas partie de ma motivation pour écrire des romans, et pour faire des films.
BM : Auriez-vous en tête l’exemple d’un tel cas, où des mesures politiques
ont fait suite à une prise de conscience grâce au succès d’un roman, ou d’une
autre œuvre d’art ?
PYT : Je crois
par exemple que le succès planétaire de Danse avec les Loups a permis de faire
évoluer les mentalités à propos de la culture amérindienne, et de leur rapport
à la nature. En littérature, je crois que le succès continu de Robinson Crusoe
depuis maintenant plusieurs siècles contribue à nous rappeler génération après
génération que nous faisons partir de la nature.
BM : Selon vous, est-ce qu’une majorité de vos lecteurs et lectrices ont
déjà conscience des problèmes environnementaux dont vous parlez ou avez-vous le
sentiment que votre œuvre peut accompagner vos lecteurs et lectrices vers une
compréhension et une conscience différente du monde ?
PYT : Même si
mes romans sont loin d’être des bestsellers, j’ai eu de nombreux exemples
autour de moi de lecteurs qui ont été amenés à lire mes romans par amitié ou
par hasard et qui ont été sensibles à leur propos alors qu’ils n’étaient pas
forcément concernés par les problèmes d’environnement ou de rapport à la nature.
Ça a été une vraie récompense pour moi, et un encouragement à persévérer !
BM : Quels changements espérez-vous que vos livres provoquent, à un niveau
personnel ?
PYT : Vaste
question. J’espère simplement participer à une prise de conscience générale sur
notre rapport à la nature, et susciter des envies de reconnexion avec le monde
qui nous entoure.
BM : De quelles façons votre connaissance et votre sensibilité aux problèmes
écologiques et à la vie autre
qu’humaine affectent-elles votre style et vos choix de vie ?
PYT : De manière
plus profonde que je ne l’aurais cru avant de commencer à écrire. Mes pulsions
de consommation ont diminué de manière significative, et mon rapport à la
nature s’est renforcé et enrichi. Mais il me reste encore beaucoup de chemin à
parcourir pour avancer sur cette voie.